La mesure du PLFSS ne précise pas encore la durée minimale d'exercice préalable à l'intérim pour ces professionnels de santé mais elle est d’ores et déjà diversement accueillie par les agences de travail temporaire, les soignants et les établissements de santé.
Le recours nécessaire à l’intérim dans les établissements hospitaliers
Le recours à l’intérim médical et paramédical n’a fait que croître au cours des dernières années. Selon une étude de la DGFIP d’octobre 2021, le taux de recours au travail temporaire pour le personnel médical s’élève à 20% incluant l’intérim médical strict et les contrats de gré à gré de courte durée.
Pour les hôpitaux publics, cela se traduit par une augmentation des budgets non négligeable. En 2018, on estimait le recours aux intérimaires à 1,4 milliard d’euros contre 500 millions en 2013. Mais face au manque de personnel soignant et à la crise Covid, difficile de faire autrement que de recourir aux vacataires et aux intérimaires pour combler ce manque d’effectif.
Pourtant, le gouvernement souligne que le recours à l’intérim dans le milieu médical « engendre une déstabilisation des services et des équipes, particulièrement forte dans des territoires marqués par la fragilité de la démographie en professionnels de santé ».
On peut comprendre que cette mesure tente ainsi d’améliorer la qualité des soins mais comme le souligne Édouard, cadre de santé, « l’intérim est considéré comme une solution de remplacement d’urgence pour la majorité des cadres et responsables de planning soignants. Il est vrai que la qualité du travail fourni et/ou l’implication d’un soignant qui intervient de manière ponctuelle dans un service pose souvent question. L’expérience ou plutôt le manque d’expérience d’un intérimaire qui arrive dans un service établi fait toujours peur mais est-ce sur quoi repose la qualité du travail qu’il/elle va fournir ? Pas nécessairement, tout est fonction de l’encadrement et de l’accompagnement dont il va disposer pendant sa mission et de sa capacité d’adaptation rapide à des organisations et process opérationnels. Je crains que cette mesure ait un effet de désertification car beaucoup de jeunes diplômés font leurs premières expériences grâce à l’intérim et, au vu des difficultés de recrutement qui s’étendent à quasiment tous les secteurs géographiques, chaque établissement va devoir travailler sur sa propre attractivité et anticiper les difficultés opérationnelles et organisationnelles pour combler les postes vacants habituellement couverts par l’intérim. Sur le long terme, la situation pourrait néanmoins représenter une vraie opportunité de recruter et former des soignants aux missions les plus fréquentes voir aux plus critiques comme les soins à haute technicité. »
La flexibilité de l’intérim appréciée par les soignants jeunes diplômés
Habituellement perçu comme une grande source d’adaptabilité, l’intérim offre l’avantage de multiplier les références, les expériences et les spécialités médicales. Pour les jeunes diplômés du secteur de la santé qui n’aiment pas la routine, le travail temporaire offre la possibilité de faire de nombreuses rencontres, de choisir ses missions et donc de bâtir les premières lignes de son CV au gré de ses ambitions professionnelles.
La mesure du PLFSS est donc plutôt mal accueillie du côté des soignants, comme nous l’explique Marina, infirmière diplômée en 2022 : « Je trouve cela dommage de nous priver de l’intérim en début de carrière car les établissements hospitaliers nous demandent aujourd’hui d’être plus que polyvalent et malléable dans nos fonctions. À la sortie d’école, l’intérim nous permet justement d’approfondir nos compétences dans certains domaines et d’acquérir cette polyvalence que l’on n’a pas eu le temps de perfectionner durant nos 3 années d’études. »
À l’heure où les millennials et la génération Z sont en quête de liberté et de nouvelles opportunités, l’intérim ouvre notamment des perspectives intéressantes : « L’intérim permet de tester un panel de spécialités relativement important. Se titulariser en CDI dès la sortie d’école c’est prendre le risque de s’enfermer dans une case qui ne nous plaît pas et finalement d’abandonner son poste après s'être rendu compte que le secteur ne nous convient pas. » précise Marina.
À l’inverse, les soignants ayant déjà quelques années d’expériences ne se risqueront pas forcément à quitter un poste en CDD ou en CDI pour aller en intérim : « Après quelques années d’expérience, on a plutôt envie de se poser là où l’on se sent le mieux, d’avoir une tranquillité d’esprit. À moins d’un problème de parcours ou d’un besoin temporaire d’augmenter ses revenus, une infirmière qui a quelques années d’expérience et un CDI dans un secteur qui lui plaît n’aura pas forcément envie de rompre son contrat pour aller dans l’intérim. »
L’avis des agences d’intérim
Pour les professionnels du secteur de l’intérim, la mesure du PLFSS est un véritable bouleversement. Si elle est définitivement adoptée, les agences de travail temporaire devront revoir leur stratégie de recrutement pour attirer des profils de soignants expérimentés. Bien que les jeunes diplômés ne représentent pas la majorité des missions d'intérim, cela reste significatif. Les recruteurs vont donc devoir s'adapter et trouver de nouveaux profils car les besoins des établissements de santé ne vont pas disparaître.
Les agences ont néanmoins conscience que l’intérim est à réguler dans ces métiers d’un point de vue budgétaire car c’est un poste qui coûte très cher à l’état. Comme le souligne Maryline Sylvestre, présidente chez Contact RH, « il est dommage de faire porter cette régulation budgétaire aux principaux intéressés, à savoir les jeunes diplômés que l’on prive de leur liberté de choisir comment ils souhaitent démarrer leur carrière, et les établissements de santé dont les besoins ont évolué ces dernières années notamment avec l’augmentation des soins ambulatoires et des besoins très ponctuels qui en découlent. De mon point de vue, les jeunes soignants ne devraient pas avoir à subir cette mesure. L’intérim est justement une bonne façon de monter en compétence. Les jeunes sont aussi souvent plus disponibles pour travailler à des horaires flexibles et d’adapter aux besoins des établissements. En revanche, on ne peut pas nier que la question budgétaire se pose car les marges & coefficients appliqués par les agences d’emploi dans le secteur médical sont parfois très élevés. C’est un avis très personnel mais je pense qu’il serait plus judicieux de redéfinir ou plafonner les coefficients quitte à ce que les agences de travail temporaires rognent un peu sur leurs marges. »